24.

Les vingt-six vétérans continuèrent à l’acclamer. Hudson parcourut des yeux la pièce miteuse où, pendant presque un an et demi, ils avaient ensemble mis sur pied l’opération Green Band.

Il examina les rangées de visages familiers, les barbes mal taillées et en bataille, les coiffures longues et démodées, les vestes vert kaki des vétérans. Il était chez lui. Il était chez lui, et il était manifestement le bienvenu parmi les siens.

Il sentait les vibrations de ferveur pure que ces hommes éprouvaient pour lui. Et, l’espace d’un court instant, le colonel David Hudson faillit perdre le contrôle de lui-même.

Il les gratifia finalement d’un sourire de conspirateur plein d’ironie.

— C’est bon de vous revoir tous. Poursuivez votre petite fête. C’est un ordre.

Hudson déambula parmi eux d’un pas tranquille, serrant des mains, saluant le reste du groupe : Jimmy Cassio, Harold Freedman, Mahoney, Keresty, McMahon, Martinez – des hommes qui n’avaient pu retrouver leur place au sein de la société après la guerre, des hommes qu’il avait recrutés pour Green Band.

Ces vétérans étaient des asociaux qui pâtissaient d’une incapacité chronique à travailler ; selon les critères américains de succès et d’accomplissement, ils étaient des ratés de première. Au moins la moitié d’entre eux souffraient de syndromes de stress post-traumatiques, si répandus parmi les anciens combattants.

Les hommes réunis dans le vestiaire des chauffeurs de taxi s’étaient tous distingués de façon remarquable. Chacun d’entre eux avait servi sous les ordres de Hudson, à une époque ou à une autre. Chacun d’entre eux était un expert technique hautement qualifié ; chacun d’entre eux possédait un talent unique, que personne, à l’exception de Hudson, ne semblait avoir le besoin ou l’envie d’exploiter dans la société civile.

Steve Glickman, dit « le Cheval », et Pauly Melindez, dit « Mister Bleu », formaient la meilleure équipe de tireurs isolés que Hudson eût jamais commandée.

Spécialistes de l’artillerie, Michael Doud et Joe Barreiro étaient des experts dans la fabrication et l’assemblage de dispositifs explosifs sophistiqués.

Manning Rubin aurait pu gagner mille dollars par semaine en travaillant pour Ford ou General Motors. Pour peu que son don pour réparer les voitures ait été doublé de patience, d’une toute petite disposition lui permettant de se contenir face à la connerie ambiante…

Davey Haie possédait des connaissances encyclopédiques sur presque tout, en particulier sur les marchés boursiers.

Campbell, Bowen, Kamerer et Generalli étaient des soldats de très grande valeur.

— Très bien, messieurs. Nous avons des leçons à réviser, maintenant, intervint Hudson. C’est la dernière fois que nous aurons l’occasion de revoir ces détails et l’ensemble de nos plannings d’opérations. Si vous avez l’impression que ça ressemble à des instructions militaires officielles, vous avez raison, parce que c’en sont.

Se taisant momentanément, Hudson observa le cercle de visages qui l’entouraient, tous braqués vers lui avec une attention intense.

— Petite anecdote personnelle, messieurs… À la vénérable JFK School de Fort Bragg, on nous répétait sans cesse ceci : « le génie réside dans les détails »… J’ai retenu cette leçon comme nulle autre apprise avant cela ou depuis… Je souhaite donc vérifier les derniers détails une ultime fois avec vous tous. Voire deux fois. Les détails, messieurs…

Vétéran 1 avait délibérément conçu sa présentation sur le modèle concis des directives techniques du manuel de campagne des forces spéciales. Dans l’immédiat, il voulait que ses hommes se rappellent le Vietnam. Il voulait qu’ils se souviennent de leur attitude là-bas : de leur audace et de leur courage, de l’esprit de corps dont ils avaient tous fait preuve, à un moment ou à un autre.

Pendant près de deux heures et demie, le colonel Hudson passa minutieusement en revue tous les scénarios, tous les imprévus susceptibles de survenir jusqu’à la conclusion de la mission Green Band. Il usa de moyens mnémotechniques : des cartes topographiques de reconnaissance, des astuces pour mémoriser les éléments importants, des organigrammes semblables à ceux utilisés dans l’armée.

Une voix rauque s’éleva finalement du fond du vestiaire des vétérans :

— Comment vous êtes aussi sûr que personne n’aura de crise de conscience ? demanda l’un des hommes, un Noir du sud des États-Unis du nom de Clint Hurdle. Ça va commencer à chauffer, colonel. Comment savoir si quelqu’un ne va pas merder et s’arracher en courant ?

La pièce devint silencieuse.

Hudson réfléchit avec soin avant de répondre. Il s’était lui-même posé cette question des centaines de fois.

— Personne, pas un seul d’entre vous, n’a jamais failli au combat.… Même dans une guerre qu’aucun de vous ne voulait et à laquelle vous ne croyiez pas… Personne n’a craqué, dans les camps de prisonniers !… Personne ne flanchera maintenant non plus. Je parierais là-dessus n’importe quoi.

Un silence gêné subsista après cette réplique chargée d’émotion. Le regard intense de David Hudson parcourut une fois encore la pièce.

Il désirait qu’ils fussent certains qu’il pensait chacun des mots qu’il venait de prononcer. Bien que cela ne sautât vraisemblablement pas aux yeux, tous les hommes présents avaient été soigneusement choisis, parmi des centaines d’anciens combattants. Chaque soldat dans cette pièce était un individu à part.

— Si quelqu’un parmi vous a envie de renoncer, c’est le moment… C’est tout de suite, messieurs. Ça concerne quelqu’un ?…

Un vétéran se mit lentement à taper dans ses mains. Puis les autres l’imitèrent.

Les vingt-six hommes applaudirent solennellement. Quoi qu’il dût se passer, ils étaient ensemble.

Vendredi Noir
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